Critique de « Dalton Trumbo » par Antoine Ponza

Dalton Trumbo, Jay Roach, 2015

Plus ou moins passé aux oubliettes de l’histoire politique, tant du cinéma que des États-Unis, le parcours de Dalton Trumbo a retrouvé la lumière dans un film biographique sorti en 2015. Celui-ci aborde la question de la création artistique au moment d’une période de tensions nationalistes : la guerre froide.

Réalisé par Jay Roach – notamment producteur des documenteurs Borat et Brüno – et porté haut en couleurs (d’époque) par Bryan Cranston dans le rôle-titre, Donald Trumbo (2015) éclaire de manière mi-réaliste (la moustache) mi-romancée (Bryan Cranston) la vie d’un scénariste à succès après-guerre aux États-Unis, mis en prison pour ses opinions politiques. Un film qui scénarise la vie d’un scénariste de films se voue à une mise en abyme quasi automatique, qu’elle fonctionne par totale représentation ou par allusion. En s’inspirant de la vie d’un scénariste des années 1940 dans Barton Fink (1991), les frères Coen servaient grâce à ce mécanisme leur meilleure recette, fantasque et humoristique. Plus proche de leur Avé, César ! (2016), satire d’Hollywood sur fond de maccarthysme, Donald Trumbo joue à sa façon la carte du film dans le film. Par le prisme d’un personnage incontournable du cinéma américain, l’œuvre questionne ainsi, directement ou indirectement, le genre auquel il s’attelle – le film biographique – et la représentation de la politique et de l’histoire au cinéma.

Si à la fin du film Dalton Trumbo se félicite d’avoir « retrouvé [son] nom », c’est-à-dire sa gloire d’antan, sa famille et sa liberté, il semble qu’hors de la diégèse, son patronyme a perdu de sa célébrité depuis. Certes, longtemps à Hollywood, le nom du scénariste constituait un argument promotionnel, bien plus que celui du réalisateur, mais la tendance s’est inversée aujourd’hui. Si Trumbo a fait carrière avec des cinéastes dont les noms ont perduré autant que ceux de leurs œuvres, citons pêle-mêle Victor Fleming, Joseph Losey ou Robert Aldrich, le sien a sans doute aussi été occulté par les œuvres auxquelles sa plume a donné vie. Parmi lesquelles on trouve Johnny got his gun (1971), sa propre adaptation de son roman antimilitariste, Vacances romaines (1953) de William Wyler, une histoire d’amour inscrite à la Bibliothèque du Congrès et vainqueur de trois Oscars ou Spartacus (1960) de Stanley Kubrick, dépeignant une révolution d’esclaves dans la Rome antique, également inscrit au fameux registre d’Etat et vainqueur de quatre Oscars. Cela étant, nous pouvons enfin formuler l’hypothèse que les affres publiques qu’il eut à subir à partir des années 1940 – racontés par le film – se sont répercutés sur sa postérité relative.

L’histoire débute à la manière d’un conte. En 1947, à Los Angeles, Dalton Trumbo profite des fruits de son travail acharné, reconnu génial tant par ses pairs que par la critique. Entouré d’une charmante famille, il parvient à allier ses convictions de « défenseur des travailleurs » et une vie plutôt luxueuse dans une belle et blanche maison. Face au conflit mondial grondant en 1939, il déclare ouvertement sa conviction non-interventionniste avec la publication de Johnny got his gun ; Trumbo se situe alors très à la gauche de l’opinion publique, un antécédent qui ne jouera probablement pas en sa faveur. Lorsque l’Allemagne nazie envahit l’URSS de Staline, il révise sa position et adhère en 1943 au Parti communiste. Au milieu de ses comparses « rouges », scénaristes, acteurs ou producteurs, Trumbo n’est pas dépeint comme le moins impliqué, mais peut-être le plus idéaliste. Quoi qu’il en soit, la fin du conflit mondial signe les prémices de la guerre froide, et toute personne soupçonnée d’amitiés à l’égard des soviétiques encoure l’opprobre de ses concitoyens et de la toute nouvelle Commission parlementaire sur les activités antiaméricaines : la chasse aux sorcières a commencé. Usant d’intimidation et de chantage, la Commission auditionne et poursuit en justice les membres de sa liste noire, dont les « Dix d’Hollywood », un groupe de scénaristes, poussant chacun à l’aveu de leur crime supposé, à savoir leur affiliation au Parti communiste et des actes de propagande par le biais du cinéma, ainsi qu’à la dénonciation de leurs confrères. Trumbo, récalcitrant, est envoyé purger une peine de onze mois dans un pénitencier du Kentucky. Puis, interdit de travail, relégué à la marge de la société hollywoodienne, il tente tant bien que mal de subsister aux besoins de sa famille, écrivant à la pelle des scénarios anonymes de films médiocres.

En déroulant une trame narrative assez classique, le film a pour mérite de réhabiliter le nom d’une figure essentielle d’Hollywood. Convoquant avec malice d’autres personnages mythiques, comme les acteurs John Wayne ou Kirk Douglas, participant respectivement à la ruine puis à la reconnaissance de Dalton Trumbo, il montre de quelle manière une politique d’Etat – en particulier ici la volonté de contrôle de l’industrie cinématographique à des fins de propagande – peut influer sur l’opinion et le cours d’une vie, et à l’inverse le pouvoir circonstanciel de l’implication politique de personnalités publiques. Si ce film ne l’évoque pas, on ne pourra pas s’empêcher de comparer les prises de position de Trumbo à celles de l’écrivain d’origine hongroise Arthur Koestler. Né comme lui en 1905, Koestler adhéra au Parti communiste allemand au début des années 1930, en réaction au nationalisme et au nazisme grondants. Journaliste et écrivain engagé contre la peine de mort, il décrivit la révolte de Spartacus dans Les Gladiateurs (1938) et arma l’opinion d’un roman pamphlétaire intitulé Le Zéro et l’infini (1940) contre le totalitarisme soviétique. Il œuvra avec le ministère de l’information britannique pendant la Seconde guerre mondiale et ses écrits servirent la propagande anticommuniste étasunienne. Si les deux hommes ne se sont probablement jamais croisés, leur vie d’écrivain à la fois similaire et dissemblable semblent paradoxalement mêlées.

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